TROUZ AR MOR - DZ3966

Immatriculation
DZ3966
Type de bateau
Date d'inscription DZ
1959
Type de propulsion
Moteur
330 CV
Longueur
24.90 mètres
Tonnage
110.00 tonneaux
Lieu de Construction
Patron(s)
LE GALL Jean
Radio
TQXG
Notes

Construit en 1958.
Inscrit à Douarnenez en 1959.


Notes de Louis Roger :

Le "Trouz-Ar-Mor" est un chalutier hauturier, armé au chalut l’hiver et au thon à l’appât vivant l’été.

Il a été construit à Bayonne en 1959. Seuls deux navires identiques ont été construits, le "Trouz-Ar-Mor" immatriculé DZ 3966, et le "Persévérant" immatriculé à Concarneau. Il a une jauge de 110 tonneaux, une longueur de 24,90 mètres et il est propulsé par un moteur Baudouin de 330 chevaux.

Vers la fin Août 1962, il était en action de pêche au thon à l’appât vivant dans le golfe de Gascogne.

Tous les ans un fort coup de vent balayait le golfe, nous l’attendions et le redoutions. Il a fini par arriver.

Le patron, Jean Le Gall était en liaison radio fréquente avec les douarnenistes Jos Marec, patron du "Commandant Levasseur", Gabriel Urvois, patron du "Gabrielle Pennegat", ainsi que le patron du "Bleun Brug".

Le tribut payé cette année-là a été très lourd. 110 marins espagnols ont perdu la vie avec 10 thoniers coulés. Nous avons assisté à la radio au sauvetage par Jos Marec, patron du "Commandant Levasseur", de 10 marins-pêcheurs espagnols dont le navire avait sombré.

Pour notre part, nous avons ramassé un paquet de mer d’une grandeur inouïe. Le feu de mât a été brisé. Il a déferlé sur la passerelle l’enfonçant en son centre de plusieurs centimètres, brisant toutes les vitres. L’eau de mer atteignait le plafond avant de s’écouler par l’emplacement des vitres. Une chance, les portes latérales ne se sont pas ouvertes. C’était la relève de quart et cinq hommes se trouvaient à la passerelle. L’homme de barre, Jo Gloaguen de Ploaré, a eu deux phalanges de son majeur gauche emportées, seul un os dépassait de son doigt manquant. Son front était ouvert sur plus de dix centimètres. Le patron Jean Le Gall avait une grosse coupure en travers du nez.

Tous les appareils électriques étaient hors d’usage (decca, sondeur…)

Lorsque le "Trouz-Ar-Mor" a passé le sommet de la vague, l’hélice est sortie hors de l’eau quelques dixièmes de seconde causant un sifflement strident avant de retomber lourdement sur son élément.

Le chef mécanicien Henri Doaré, voyant l’eau couler en forte pression par les gaines de commandes du moteur de la passerelle, a cru que nous coulions. Il est arrivé comme un fou dans la cuisine.

Toutes les portes donnant sur l’extérieur étaient fermées. Le panneau de cale avait été sécurisé par une barre de fer dont l’extrémité était cadenassée. C’est ce qui nous a permis d’en réchapper.

Les premiers soins ont été apportés par Henri Vergoote, notre cuisinier, qui possédait des notions de secourisme. La pause d’agrafes était un exploit avec le tangage et le roulis permanents.

A la suite de cet événement, nous avons fait route à l’estime vers le port le plus proche.

En chemin, nous avons croisé le "Petite Georgette" de l’île d’Yeu, qui dérivait en travers, réduit à l’état de ponton. Il ne restait, sur le pont, que l’avant de sa passerelle couché à 45 degrés sur la barre, l’arrière ayant été emporté avec les mâts et les perches. L’homme de barre avait été tué.

De vive voix le patron nous a demandé de signaler sa position pour qu’un autre bateau de l’île d’Yeu vienne le prendre en remorque. Il n’avait besoin d’aucune autre assistance.

En route, nous avons ramassé un autre paquet de mer par le travers. Malgré les hublots fermés, celui situé au-dessus de la table de la cuisine salle à manger, a laissé passer l’eau de mer. Elle est entrée en force inondant la table où nous prenions notre repas. Toutes les assiettes ont été remplies d’eau de mer. Je me rappelle que nous mangions du lard aux petits pois.

Nous avons été portés disparus pendant deux jours avant que nous rejoignons Concarneau le soir.

Le bateau était dans un triste état. La bolinche balayait le pont. Dans le gaillard avant, il n’y avait plus rien sur les étagères, tout était en vrac sur le sol.

L’équipage est resté remettre le bateau en état. Le patron a appelé un taxi et je suis rentré seul à Douarnenez avec pour mission de faire le tour des familles pour leur dire que nous étions rentrés sains et saufs.

Dans chaque foyer c’était des larmes, et des dizaines d’années plus tard, l’émotion est toujours aussi forte en y pensant.

C’était le début de ma carrière mouvementée de marin-pêcheur.

Le "Petite Georgette" a bien été pris en remorque et a pu rejoindre l’île d’Yeu.